LA TÉLÉVISION PEUT-ELLE ÊTRE INTERACTIVE ?
La télévision serait, nous dit-on(*) en perte de vitesse auprès
du jeune public, essentiellement à cause de la concurrence des
jeux vidéo. On conçoit bien en effet que le temps passé avec sa
console est le plus souvent pris sur celui consacré au spectacle
que propose habituellement le petit écran. Mais il y a plus important
: les jeux vidéo donneraient aux enfants de nouvelles habitudes
face à l'écran, plus actives, plus participatives, ce qui aurait
pour conséquence un désintérêt grandissant pour les émissions
que la télévision donne à voir, et qu'il faut regarder toujours
de la même façon, c'est-à-dire de façon toujours plus ou moins
passive.
Le grand mot est lancé. Face à la généralisation des médias interactifs,
la télé n'aurait que deux solutions. Ou bien laisser le terrain
libre à l'expansion des nouveaux rapports au monde des images
que généralise l'alliance de !'informatique et de la vidéo. Ou
bien, dans un sursaut vital, se transformer de l'intérieur, générer
une nouvelle race d'émissions, échapper enfin à la vieille tare
originelle condamnant son public à une consommation passive, subie,
sans possibilité de retour ou de réaction autre que d'éteindre
le poste. Cet espoir fou tient aujourd'hui en un mot: INTERACTIVITE.
Mais qu'entend-on par là exactement? N'est-il pas le plus souvent
employé de façon incantatoire, comme un mot de passe magique qui
donnerait accès au monde des médias du futur, alors que bien peu
peuvent déjà entrevoir en quoi il consistera.
Le mythe de la participation du public
Comme la radio, la télévision en tant que média de masse a toujours
ressenti la nécessité de se rapprocher de son public, pas seulement
pour le compter, ni pour recueillir ses jugements et ses avis,
mais essentiellement pour lui donner !'impression d'être sa chose,
lui proposant ce qui correspond à son attente, toujours prête
à accéder au moindre de ses désirs. Le téléphone puis le Minitel
ont été les instruments favoris de cette stratégie du leurre.
On ne fait appel à son individualité que pour mieux le fondre
dans la masse, au mieux dans la loi de la majorité (I'Heure de
Vérité), au pire il de-vient un simple alibi commercial (le Hit
des
Séries dans le Club Dorothée). Même si la suite du programme -
la survie du héros ou l'avenir de ses amours - dépend d'un vote
des téléspectateurs, ce qui passe pour le summum de sa participation
est en fait bien peu de chose par rapport à l'interactivité que
développent ce qu'il est souvent convenu d'appeler les Nouvelles
Technologies, au premier rang desquelles les Compact Disk Interactif,
CD ROM et autres Hypermédias, et qui suppose que l'utilisateur
sait le seul maître de son par-cours dans le programme. S'il y
a choix alors, ce n'est plus seulement au sens où il faut
éliminer les alternatives proposées sauf une, mais dans celui
où il y a une décision préalable d'avoir un choix à effectuer.
Des jeux, toujours des jeux
La télévision, et en particulier F2 et F3, ne ménage pourtant
pas sa peine pour proposer à son public de nouvelles formes de
participation. Les programmes jeunesse ont même tendance à être
transformés en champ d'expérimentation dans ce domai-ne. Après
Hugo et ses délires on a droit à Super Mario dans Té!évisator
2. Cette fois, c'est plus de 500 téléspectateurs qui peuvent jouer
ensembles, jolie prouesse tech-nique, mais qui renforce l'impression
de hasard puisque aucun joueur ne peut savoir exactement à quel
moment il a commis l'erreur qui lui a été fatale. Quant à l'utilisation
de la carte MuItipoints dans WIDJET, qui dans son principe devrait
permettre à l'enfant d'anticiper sur le cours du récit (il s'agit
de prévoir si le petit extraterrestre va ou non se transformer),
la forme unique de la ques-tion et le côté inévitablement mécanique
de la réponse lui enlève bien vite de son intérêt.
Au fond, la télévision devra apprendre à survivre avec ses propres
moyens. Sans chercher à copier ce que son fonctionnement ne permet
pas d'atteindre. A moins que la technologie ne nous réserve des
surprises. Qui sait?
Jean-Pierre CARRIER |