Prises de position

VIOLENCE ET TÉLÉVISION

La violence à la télévision est un sujet, décidément, très médiatique. Tandis que plusieurs pays tentent de légiférer en la matière, la mobilisation prend des formes très diverses. Telle revue convoque la science pour démontrer que le taux de suicide augmente avec le volume des informations télévisées qui évoquent ce problème et que "plus un pays s'équipe de téléviseurs plus on), tue" (1).
Tel colloque conclut aux effets violents de la télévision qui -agit par induction d'actes automatiques sous forme de mimétisme et d'imitation par suggestion ', (2).
Même les plus hautes autorités religieuses s'en mêlent pour condamner "les scènes brutales qui inculquent un relativisme moral et le scepticisme religieux" (3).
Et tous de conclure de la même et lénifiante façon : éteindre simplement l'appareil (4).
Décidément tout serait si simple sans cette fauteuse de trouble, moderne et électronique version du bouc honni de la Bible (5).

Après tout, s'il n'est pas opportun de vouloir contenir le spectacle de la violence, est-il juste d'accuser la télévision d'en témoigner ? Elle n'invente pas la violence, elle se borne à mettre en scène. Avec trop de complaisance diront certains, à moins que cela ne soit pour répondre au besoin d'information du public ou à son goût déclaré du morbide, ou encore parce que non contente de faire de l'audience la violence est ce qu'il y a de plus économique à montrer, tant les gisements en sont largement répandus dans notre vaste monde.
On le voit, le problème n'est pas aussi simple que ne pourraient le laisser supposer les solutions claironnées ici ou là.
Depuis plus de vingt ans les études se sont multipliées sur cette question "sans parvenir à démontrer un lien de causalité directe entre l'importance des scènes violentes et l'accroissement de la délinquance" (6). Sans doute parce que trop de variables entrent en jeu et particulièrement toutes celles qui sont "hors champ" : violence sociale, conditions de vie, conditions de réception des émissions... Une telle complexité devrait nous inviter, à priori, à rejeter les conclusions rapides comme les solutions simplistes ne serait-ce que parce que la marge est étroite entre un légitime souci de limiter le spectacle de la violence (dont le principal danger réside dans l'accoutumance et la banalisation) et le risque au moins aussi inquiétant de substituer à des règles librement consenties un ordre moral imposé. La censure exercée sur les créateurs serait tout aussi dangereuse pour les libertés que n'est illusoire l'interdit pour son bien, imposé au jeune spectateur.

Ne pas isoler le problème

Ainsi, en isolant le problème posé par la violence télévisuelle des autres problèmes que pose la télévision on brouille davantage les cartes et on s'éloigne des perspectives de solution en détournant l'attention des véritables causes de la violence sociale dont la télévision serait responsable.

Laisser croire cela est-il si innocent ? Chacun jugera. En attendant, la télévision, présente partout, influence tout le monde et il nous parait plus urgent d'apprendre à vivre intelligemment avec elle, à l'utiliser même imparfaite, à s'en faire une alliée plutôt que de se lamenter sur ses tares qui ne sont peut-être en définitive que l'image en miroir de nos propres difficultés à dominer socialement nos innovations technologiques.

Pour autant nous ne restons pas sans rien dire, mais nous devons accepter de nous battre sur tous les terrains à la fois:

  • politique, la télévision est un pouvoir à partager, particulièrement eh favorisant
    l'expression des téléspectateurs,
  • économique, pourquoi le médiocre serait-il plus rentable que le meilleur,
  • social, tout le monde reçoit la télévision mais pas également (tant les conditions de réception ont au moins autant d'importance que le contenu),
  • culturelle enfin, car l'élévation du niveau d'exigence du public est le passage obligé de l'élévation de la qualité.

Parce qu'elle propose des images directement perceptibles, la télévision sollicite davantage la sensibilité que la raison en créant l'illusion de l'inutilité d'apprendre à décoder ce qui apparaît d'emblée comme réel.

Non le problème essentiel de la télévision n'est pas celui de la violence mais bien celui du rapport au réel.

Le rapport au réel

Quand on lui donne la violence en spectacle le téléspectateur, et particulièrement le plus jeune, retient davantage le spectacle que l'horreur. Il y a donc une nécessité à "lire" les images puis d'échanger, de partager avec d'autres pour mieux prendre ses distances, faire la part des choses, analyser ses émotions et finalement passer de la sensation au concept puis au jugement.
Cela peut s'apprendre tout seul. Demain, quand il y aura plusieurs dizaines de chaînes venant du monde entier, quand l'image virtuelle nous permettra d'explorer "à pleines mains" notre imaginaire, quand les autoroutes de l'information auront complètement bouleversé nos repères de temps et d'espace, l'urgence et l'efficacité n'appelleront plus l'interdit mais l'autonomie et la capacité de chacun à sauvegarder son libre arbitre. Plus encore qu'aujourd'hui il sera vital de savoir décoder, traduire, mettre en relation, choisir pour pouvoir assumer et agir.

Ne laissons pas l'arbre nous cacher la forêt. En acceptant de focaliser notre attention sur un problème qui de toute évidence dépasse très largement la seule télévision, nous risquons de céder à ce que nous dénonçons: le monde ne se réduit pas au sensationnel que nous soulignent les médias. Gardons nous d'un comportement d'autruche médiatique.

Pierre CAMPMAS