Prises de position

L'IDENTITÉ DU JEUNE SPECTATEUR

Le GRREM et France Télévision nous proposent à travers les travaux de Pierre CORSET, chercheur à l'INA, une nouvelle "moisson" de données quantitatives et qualitatives en ce début d'année 1995. Nous avons pris la décision de donner la parole "aux jeunes", de cette manière et de vous présenter dans notre rubrique correspondante certaines facettes de cette "identité du jeune téléspectateur". Ceci d'autant plus que trop souvent encore, des informations erronées sont mentionnées à ce sujet. L'ensemble de ces travaux seront publiés prochainement. Nous vous en informerons en temps utile.

  • La télévision est la troisième activité des enfants en terme de budget temps, après le sommeil et l'école. En 1995, un enfant de 4-10 ans aura passé en moyenne 690 heures devant son téléviseur (796 heures pour les 11-14 ans, source Médiamétrie), alors qu'il passe en moyenne 850 heures en cycle primaire à l'école (960 heures pour un collégien hors temps de transport et de repas, sources Le Livre de l'Audience, éditions Economica, Médiamétrie).
  • Les enfants regardent moins la télévision que les adultes. Les moins de 15 ans consacrent à la télévision environ deux heures par jour (114 minutes pour les 4-10 ans, 113 minutes pour les 11-14 ans, en moyenne en 1994). Les adultes (15ans et plus), quant à eux, ont une durée d'écoute moyenne de 192mn par jour, soit plus de 3 heures !
  • Les enfants regardent moins la télévision qu'avant. Plusieurs raisons expliquent cette situation ; l'utilisation du magnétoscope dont la durée d'écoute n'est pas capitalisée dans l'audience télé, la pratique des jeux vidéo très forte surtout chez les garçons, enfin, n'oublions pas l'arrêt en 1992 de La Cinq qui programmait des dessins animés et des séries américaines pour les enfants.

Durée d'écoute quotidienne (en mn)
Année +10ans 11-14ans
89-90 134 154
90-91 132 150
91-92 121 138
92-93 114 132
93-94 114 131

Petits, moyens et gros consommateurs

Il est à noter que les filles et les garçons ont des habitudes d'écoute de la télévision comparables, que les 2-5 ans sont les moins télévores et que bien sûr cette durée d'écoute augmente pendant les congés scolaires, quel que soit l'âge. Une dimension très intéressante de ces travaux est l'approche des petits, moyens et gros consommateurs de télévision. En effet, derrière une moyenne d'environ deux heures d'écoute quotidienne, se cachent des consommations individuelles très différentes ; ainsi plus de 60 % des enfants de 4 à 14 ans passent moins de 1h30 par jour devant le petit écran ; l'on constate par contre une surconsommation élevée (4 heures 30 minutes d'écoute quotidienne) par rapport à la moyenne chez 10 % des enfants.

Ces observations plus fines, font apparaître des gros, petits ou moyens consommateurs. Le constat est le même pour une population d'adultes. Pierre CORSET souligne ici l'influence de la pratique télévisuelle liée à l'environnement familial sur l'écoute des enfants.

L'audience au quotidien

Elle s'inscrit pour les jeunes de 4 à 14 ans dans celle du milieu familial avec des pics d'audience à l'heure du déjeuner et en avant soirée. Apparaissent cependant des spécificités : pour les 4-10 ans surtout, une consommation importante le matin, le mercredi et le week-end, tous les soirs entre 18 h 30 et 20 h 30, voire pour les plus de 10 ans jusqu'à 21 heures. C'est donc au moment où les chaînes s'adressent à l'ensemble du public, en avant soirée que les enfants réalisent la plus grande partie de leur écoute.

Le matin entre 7h et 8h45, 16 % des enfants de 4 à 10 ans regardent les programmes de télévision ; dès 17h l'audience croit à nouveau. Entre 17h et 18h30 un enfant sur cinq regarde la télévision (24% pour les 4-10 ans, 27% pour les 11-14 ans). Le mercredi reste le jour de télévision privilégié des enfants, surtout pour les moins de 10 ans le matin.

Bien sûr, ces éléments liés aux durées d'écoute ne doivent pas être séparés des observations faites sur les comportements, non uniformes des jeunes téléspectateurs. François MARIET nous parle de trois modes de consommation : la télévision-passion, la télé bouche-trou. la télé-tapisserie. Une étude très récente de la Communauté des Télévisions Francophones (CTF, Cécile BELLEIvIARD, Monique CARON-BOUCHARD, Marie-Claire GRUAU, éditions Nathan pour la France ... ), parle, elle de télévision voulue (des émissions choisies), de télévision flottante (multiactivité et zapping), de télévision par défaut (télé de l'ennui).

Le territoire télévisuel des jeunes

La télévision fait partie de l'univers des jeunes, elle s'inscrit dans les rapports de la famille, de l'école, mais aussi au sein de la bande de copains. Des pratiques collectives, alliant vidéo, magnétoscope, zapping, s'y définissent.
Les trois chercheurs précédemment cités, à travers leurs enquêtes, nous montrent "l'intelligence télévisuel le des 12-17 ans" (c'est d'ailleurs le titre qu'ils ont retenu) et décrivent précisément le territoire télévisuel des jeunes dans sa complexité, voire aussi dans son hétérogénéité cohérente. Ils nous en précisent les trois axes forts:

  • L'importance de l'authenticité chez les Jeuries qu'ils trouvent à la fois dans des émissions de discours et des émissions de proximité à effet de miroir où l'animateur joue un rôle essentiel pour eux (Nulle Part Ailleurs, Coucou c'est nous, Frou-Frou).
  • Le rôle de l'identification qui se traduira à la fois dans des émissions de récit du réel et des fictions-miroir ou distanciées, fiction réalité ou fiction idéalisation (Seconde B, Le Prince de Bel Air, Hélène et les garçons).
  • Enfin, la dimension de l'évasion à travers des récits mis à distance" sous des genres variés, héroïques, comiques, fantastiques ou mixtes ("L'arme Fatale", "Danse avec les Loups", "Mac Gyver", "Ma sorcière bien-aimée" ... ).

Cet ensemble de données précises, qualitatives et quantitatives doit poser l'enjeu télé chez les enfants et les jeunes, au-delà des préjugés et de manière lucide, au service d'une éducation critique et de pratiques actives et citoyennes des jeunes.

Christian GAUTELLIER