Prises de position

TÉLÉVISION SCOLAIRE, TÉLÉVISION ÉDUCATIVE, OU EST LA DIFFÉRENCE?

La Cinquième a tenté de se faire connaître à son lancement par un jeu de mot de potache. Cette première campagne publicitaire marquait bien la volonté de la chaîne d'être jeune, de faire jeune, de s'adresser peut-être de façon prioritaire aux jeunes. De leur côté, les discours sérieux de ses responsables insistaient sur la volonté d'échapper au modèle scolaire, réputé une bonne fois pour toute particulièrement ennuyeux, pour aborder le savoir selon la mode du temps, c'est-à-dire d'une façon qui soit d'abord télévisuelle, même si bien peu d'indications furent données pour préciser ce que cela signifie. Pourtant, le public des élèves pendant les horaires scolaires, et donc aussi celui de leurs enseignants, ne peut pas être systématiquement ignoré ou simplement confondu avec la masse anonyme des téléspectateurs à éduquer. Le monde scolaire n'en a sûrement pas fini de hanter la dimension service public, en principe non commerciale, de la télévision !

La télévision scolaire, un bilan mitigé

La télévision scolaire a été créée en 1954 dans une perspective de suppléance. Palier au manque d'enseignants et de moyens matériels pour faire face à l'afflux des élèves était sans doute sa première raison d'être et tant que cette situation de pénurie a perduré, elle s'est développée, du moins en nombre d'heures hebdomadaires de programmes. Mais à partir du moment où la télévision a pris de plus en plus de place dans la société française, force est de constater que cette forme de télévision spécifique au public scolaire a peu à peu périclité, tant en quantité de programmes diffusés qu'en audience. La disparition de la télévision scolaire proprement dite au profit d'une télévision cette fois qualifiée d'éducative était sans doute inéluctable. La création de la 5 n'a donc fait qu'officialiser un mouvement dont on pouvait depuis longtemps déjà percevoir les prémisses.

La recherche du public

La télévision scolaire, celle qui s'adresse en priorité aux élèves pendant le temps scolaire, celle qui est faite par des enseignants (ou leurs représentants) en tenant compte des niveaux et des programmes de la scolarité, cette télévision n'a pourtant pas été effacée de nos écrans. Elle est simplement immergée dans la télévision tout court, même si la chaîne qui héberge actuellement, par sa dimension éducative, peut revendiquer d'avoir aussi une fonction pédagogique. Elle est même de plus en plus confondue avec la télévision simplement généraliste, au point où dans les rediffusions l'après-midi des émissions des "Ecrans du Savoir", titre générique servant précisément à repérer et désigner la dimension explicitement scolaire de ces programmes, cette dénomination a justement disparu. Assisterait-on à une tentative (ou à une tentation) de ne plus s'adresser exclusivement, ne serait- ce que pendant un temps limité, à un public scolaire ? Comment alors penser la spécificité des programmes faits pour l'école et des programmes faits pour la maison, si l'on pense du moins que le contexte dans lequel la télévision est reçue ne peut être négligé lorsqu'il s'agit de proposer par son intermédiaire un moyen d'accès au savoir. Ne retrouverait-on pas ici un des principes qui régirait le fonctionnement des télévisions commerciales et qui expliquerait bien des réactions contradictoires de son public (on est insatisfait mais on ne change pas pour autant de chaîne ou d'habitude télévisuelle) : à vouloir s'adresser à tous les publics à la fois on risque de n'en contenter aucun, même si cela n'empêche pas de gagner des téléspectateurs.

Pour un mode d'emploi de la télévision

Pour que la télévision puisse être considérée par les enfants comme un outil permettant de développer des connaissances, encore faut-il qu'elle soit identifiée et reconnue comme telle. Et si l'on pense que la télévision peut très bien s'intégrer aux apprentissages que les enfants réalisent (apprentissages dont on rappellera simplement que la majorité est encore aujourd'hui du ressort de l'école), et y jouer un rôle positif, alors il ne serait pas inutile de préciser à quels apprentissages ses émissions renvoient et comment elle entend y contribuer. Autrement dit, ce qui manque actuellement à la télévision strictement éducative -comme d'ailleurs à la télévision scolaire qu'elle continue de diffuser, même si c'est une façon quelque peu clandestine- c'est un véritable "mode d'emploi" de la télévision pour apprendre. Ce qui manque dans la programmation de la 5, c'est une émission précisant le bon usage "éducatif" de ses émissions. Une émission donnant au téléspectateur, de façon différente selon qu'il est ou non en position d'élève, des clés pour qu'il soit aussi un apprenant.

Jean-Pierre CARRIER