LA TÉLÉVISION, ENJEU DE SOCIÉTÉ, DÉFI AUX ÉDUCATEURS
Rappeler que la télévision est bien présente dans la vie quotidienne
des enfants risque de passer pour du radotage, tant la chose est
communément admise.
Même si avec une moyenne de 113 minutes journalières, les enfants
représentent la catégorie de téléspectateurs qui la regardent
le moins, les 690 heures annuelles qu'ils lui consacrent (850
à l'école) ont forcément un poids dans leurs comportements, la
construction de leurs connaissances, le façonnage de leur sensibilité,
leurs habitudes de consommation...
Pourtant, au delà de quelques cris d'alerte ou d'indignation et
de quelques appels à la censure, tout se passe comme si le monde
des adultes - y compris celui des éducateurs - n'avait pas pris
la mesure de l'influence exercée par cette nouvelle préceptrice
cathodique.
Pourtant, en fournissant quotidiennement repères et points d'ancrage,
la télévision est devenue un partenaire éducatif ; feindre de
l'ignorer ne peut conduire qu'à l'abandon aux lois du marché d'une
des influences éducatives qui, à cause de son statut, risque de
devenir pour beaucoup d'enfants celle qui fédérera toutes les
autres.
D'autant qu'aujourd'hui le paysage audiovisuel semble avoir atteint
un "régime de croisière" alors même qu'il est en pleine mutation.
Une télé en mutation
Déjà, le multimédia est en train d'orienter les habitudes des
téléspectateurs vers de nouvelles pratiques qui prennent en compte
les compétences - que les plus jeunes ont acquises - à saisir
globalement ou en tous cas de façon muiti-sensorielle, les langages
et les codes utilisés par les différents médias...
Demain, la numérisation et la compression permettront l'existence
de dizaines de chaînes et même la composition personnalisée de
programmes...
Et les choses risquent d'aller d'autant plus vite que l'on sait
depuis longtemps que les lois du marché sont généralement plus
incitatives que les propositions des éducateurs ou les stratégies
pédagogiques.
Cependant il n'y a pas lieu de se décourager.
Depuis neuf mois la Cinquième s'est développée au point de toucher
la quasi-totalité du public disponible à une télévision diurne
(horaires du travail salarié), augurant des formidables possibilités
de la télévision en matière éducative...
Et puis, nous ne sommes pas sans moyens.
Agir devant l'écran pour faciliter l'autonomie de jeunes téléspectateurs
actifs reste à la portée de chaque adulte, quelle que soit sa
responsabilité ou son rôle en matière d'éducation.
Agir autour de l'écran en promouvant, dans le même temps, l'expression
des enfants et des jeunes sur le contenu de la télévision et son
rôle dans la société est sans doute moins facile mais reste possible
pour peu que nous sachions créer les collectifs intermédiaires.
Favoriser leur rôle d'acteur et de producteur dans l'espace télévisuel
peut, aussi, contribuer à des avancées certaines.
Des moyens pour agir
Agir sur l'écran, c'est à dire engager et entretenir un dialogue
suivi entre téléspectateurs, producteurs et réalisateurs, reste
d'autant plus souhaitable et utile qu'il s'agit sans doute là
d'une façon efficace d'échapper tant aux pressions excessives
de l'audimat qu'aux risques de la censure.
Combattre le mythe de l'incompétence du public à s'occuper des
affaires du PAF, faire des propositions pour une télévision adaptée
aux jeunes, agir pour une citoyenneté face au média télévisuel
dès l'enfance, sont autant de perspectives dans lesquelles il
est urgent de s'engager ou de continuer à organiser nos actions.
Car aujourd'hui il est au moins aussi important d'agir en direction
des pratiques des jeunes téléspectateurs que sur les programmes
qu'ils sont susceptibles de regarder. Dans le champ d'influence
de la télévision, demain est déjà commencé. Pouvons nous, sans
contradiction, vouloir que l'enfant soit un téléspectateur actif,
critique et indépendant et ne pas tout mettre en uvre pour lui
donner les moyens de cette autonomie ?
L'éducation active, dans ce domaine aussi n'a de réalité qu'au
prix de l'engagement de ceux qui s'en réclament.
Pierre CAMPMAS |