Prises de position

GRAND ET PETIT ÉCRAN

Ce printemps fut décidément une excellente occasion de faire découvrir le cinéma aux enfants. Le cinéma en salle d'abord, avec toute la magie de l'obscurité, du silence, et des images qui arrivent de derrière le spectateur pour l'entraîner dans un faisceau de lumière vers l'écran. Mais aussi le cinéma à la télévision, lorsque du moins celle-ci sait diffuser des oeuvres rares, anciennes sans doute mais qui n'ont rien perdu de leur fraîcheur, et qui peuvent séduire autrement que par le bruit, la violence ou les effets spéciaux. Cinéma et télévision ? On se prend à rêver d'une vraie complémentarité. Pour le plus grand profit de la création dans les arts de l'image animée.

Des images réelles aux images de synthèse

Pourquoi les moins de 12 ans n'auraient-ils droit qu'à de la fiction sous forme de dessin animé? Certes Le Roi Lion et Pocahontas, entre autres, ont su émouvoir les plus petits en gardant la qualité d'animation qui fait le succès Indémodable de bien des productions Disney. Mais les jeunes spectateurs ont droit aussi à des œuvres originales, en vraies images de cinéma, c'est-à-dire avec de vrais acteurs et de vrais décors. Ce qui ne veut pas dire que les dessins animés ne seront jamais de vrais films. Le Roi et l'Oiseau, pour ne citer qu'un chef d'œuvre incontesté, est là pour affirmer le contraire. Seulement les enfants aussi ont droit à se voir offrir toutes les formes d'expression artistique. Ce qui est d'ailleurs un enjeu crucial si l'on veut préserver l'avenir du cinéma.

Donc la bonne surprise de ce printemps, ce fut d'abord un film venu de la lointaine Australie. Un film qui réussit le tour de force d'être un film sur les animaux sans être un film animalier. Un film qui en outre pouvait émouvoir les plus petits en jouant sur leur attirance pour gentilles petites bêtes de la ferme, et aussi faire réfléchir les plus grands en démontrant non sans humour que les rôles préétablis par la nature, ou la société, pouvaient très bien être contestés lorsqu'ils deviennent un système d'oppression. Bref, Babe le Cochon devenu berger nous semble une des meilleures démonstrations possibles de la grande force du cinéma pour enfant. S'il sait le considérer comme un spectateur à part entière, il n'y a pas de raison pour que les adultes ne soient pas aussi concernés.

L'animation au cinéma n'a cependant pas dit son dernier mot. D'autant plus que les ressources des technologies actuelles viennent à point nommé à la rescousse. Et l'événement que fut Toy Story ne pouvait pas passer inaperçu : le premier film entièrement réalisé par ordinateur venait d'arriver sur nos écrans. Et les images de synthèse en question ont tout pour séduire, en grande partie parce qu'elles sont servies par un scénario particulière-ment travaillé, rempli de surprises et de temps forts, comme cette scène où Buzz l'éclair découvre, en voyant une pub à la télé, qu'il n'est qu'un jouet. Ce qui ne l'empêchera pas de rester un personnage de cinéma !

Et à la télé?

La télévision pourrait très bien aussi à sa manière former les jeunes cinéphiles de demain. En leur montrant des films qu'ils n'ont pas l'occasion de voir ailleurs. Des films qui puissent leur faire découvrir le plus de facettes possibles du cinéma. C'est ce que réussit avec de plus en plus de bonheur Ciné Furax, l'émission que Canal J consacre chaque semaine au cinéma. La programmation y est certes inégale, mais on peut y faire des découvertes surprenantes, des perles rares sorties de l'oubli pour nous proposer de vraies leçons de cinéma.

Ce fut le cas d'abord avec Fifi Brindacier , film suédois datant de 1968, adapté des livres d'Astrid Lindgren. On y découvre une drôle de petite fille avec des nattes oranges, capable de soulever à bout de bras un cheval et qui sème la panique dans la bonne société lorsque par hasard elle y est admise. Car Fifi, c'est l'incarnation d'une certaine forme de liberté : elle ne va pas à l'école, elle vit seule, elle fait toujours ce qu'elle veut, ce qui l'entraîne dans des situations parfois plutôt scabreuses. Bref, elle est rebelle à toute autorité et à toute contrainte. Mais elle reste une enfant, généreuse et très attachante, et dont les merveilleuses aventures relèvent plus de la puissance de l'imaginaire que de la contestation de la société.

Et puis surtout, la programmation de Ciné Furax contenait en Mars, "Nous les Gosses", un petit chef d'œuvre tourne en 1941 par Louis Daquin avec des dialogues de Marcel Aymé. Un film sur les enfants, leurs jeux, leurs rivalités, mais aussi solidarité qui peut les unir lorsque l'un d'eux a besoin d'être aidé. Bref une vraie leçon de cinéma. Et aussi une leçon pour la télévision : faire découvrir de tels films, c est pleinement jouer un rôle de dif-fusion au patrimoine culturel qu'elle est sans doute seule aujourd'hui a pouvoir encore remplir.

Jean-Pierre CARRIER