DES PROPOSITIONS POUR UNE TÉLÉVISION DES JEUNES
Première entreprise de loisirs de notre pays, la télévision représente
pour le plus grand nombre d'enfants et de jeunes Vu n des principaux
moyens d'approche culturelle en même temps qu'elle est l'un des
agents majeurs de leur socialisation et de leur culture. Elle
influence leur perception sociale et constitue pour eux une référence
de consommation. Pourtant, rien ne prépare ces jeunes téléspectateurs
à décrypter et à comprendre ce flot d'information dont la forme
imagée les pousse à prendre pour réalité première ce qui n'est
en fait que la mise en scène de faits déjà médiatisés ailleurs
et autrement.
Quant à l'usage qu'enfants et adolescents font de la télévision,
pour leur formation, le rôle que les adultes pourraient jouer
est d'autant plus flou que les études concernant ce sujet sont
peu nombreuses et en tous cas peu connues. Et si l'on sait, en
fin de compte, peu de choses sur la place de la télévision dans
le développement des connaissances et des apprentissages des enfants
et des adolescents, il ne faut pas s'étonner du manque flagrant
d'intérêt que la plupart des adultes (même en situation d'éducateurs!)
portent à cette question.
La volonté d'EN JEU TÉLÉ, lieu d'échanges et de propositions,
est donc d'alimenter la réflexion sur la relation enfant-télévision
au cours d'un débat permanent partagé et enrichi par les partenaires
des différents niveaux de la relation éducative : enfants et jeunes,
enseignants, animateurs et formateurs socio-éducatifs, parents,
élus territoriaux, professionnels de la télévision. Cette volonté
de provoquer le débat public le plus large sur les enjeux éducatifs
et sociaux de la télévision accessible au jeune public, a conduit
EN JEU TÉLÉ à reprendre, chaque fois qu'elle lui paraissait intéressante,
telle ou telle proposition faite ailleurs, par d'autres.
Pierre CAMPMAS, Président d'EN JEU TÉLÉ
Offre de programme et pratiques de réception
Concernant les émissions et leur fréquentation EN JEU TÉLÉ propose
une action dans cinq directions :
- Débat : Partout où cela semble possible il est nécessaire et
urgent d'engager la discussion. À l'école, au centre de loisir,
à la maison, sous des formes diverses, régulièrement ou à l'occasion,
permettre aux enfants et aux jeunes d'exprimer des jugements,
des avis et des souhaits semble la première condition d'une "interactivité"
qui pour l'instant ne parait recherchée que pour son intérêt commercial.
Toutes les occasions, institutionnelles, publiques ou privées
doivent être saisies pour promouvoir et favoriser l'expression
des jeunes téléspectateurs, condition à remplir pour promouvoir
une utilisation critique et autonome de la télévision par ceux-ci.
- Dialogue : Les problèmes que pose la télévision dans le cadre
de l'éducation et des loisirs des jeunes doivent pouvoir être
envisagés dans le cadre d'un dialogue avec les responsables des
chaînes, les producteurs d'émissions jeunesse, les instances de
régulation pour aborder :
o la diversité des programmes;
o la prise en compte dans ces programmes des besoins et des intérêts
des enfants et des jeunes;
o la nécessité d'une information quotidienne liée à l'actualité
et destinée au jeune public;
o la diffusion des émissions jeunesse aux heures disponibles;
o la diffusion aux heures de grande écoute des problématiques
jeunes;
o l'existence d'un " étiquetage " informatif des émis-sions, clair,
adapté et précis;
o les problèmes pédagogiques spécifiques à traiter pour une bonne
réception des émissions.
- Recherche : Pour optimiser les nombreuses recherches passées
et en cours dans le domaine de la relation enfant/médias. Il est
important de les faire connaître, de proposer des terrains et
des sujets d'investigation, d'associer les jeunes eux-mêmes à
ces questionnements, d'utiliser les résultats et les acquis des
recherches pour engager des animations et des formations. Pour
cela il est indispensable de créer des lieux multiples et des
procédures variées pour permettre ces échanges entre la recherche
et les terrains de l'animation et de la formation.
- Formation : Pour sensibiliser les enfants et les jeunes à l'influence
que la télévision exerce sur eux, il parait urgent de mettre en
place des lieux de formation à l'image destinés aux parents, aux
enseignants, aux animateurs ainsi qu'à toutes personnes pouvant
servir de relais, et dans certains cas aux jeunes eux-mêmes. Une
formation pourrait être confiée à des organismes habilités nationalement
ou localement sous l'autorité d'une instance de régulation.
- Expression : Pour que l'ensemble de ces propositions puisse
trouver écho et intérêt dans un large public, il parait indispensable
que soient favorisées les prises de position des uns et des autres
au sujet de la télévision et de son impact sur la jeunesse. Pour
cela la diffusion de communiqués devrait être favorisée dans la
presse et par les chaînes elles-mêmes qui devraient ouvrir des
instances d'information et de dialogue sur leurs antennes.
Télévision et droits des jeunes téléspectateurs
La question des droits des jeunes téléspectateurs n'a, à notre
connaissance, jamais été posée dans notre pays. La Convention
internationale des droits de l'enfant, dont la France est signataire,
fait explicitement référence à " l'intérêt supérieur de l'enfant
" (art. 3), à son droit d'expression (art. 2), à sa liberté d'expression
et d'information (art. 13). L'article 17 encourage les médias
à tout faire pour que l'enfant " ait accès à une information et
des matériels... notamment ceux qui visent à promouvoir son bien-être
social, spirituel et moral ainsi que sa santé physique et mentale
". L'article 29 précise que " l'éducation de l'enfant doit viser
à son épanouissement " et en particulier, " à le préparer à assumer
les responsabilités de la vie dans une société libre... " Face
à ces impératifs, l'enfant doit pouvoir formuler des observations
sur ce média, la télévision, qui le sollicite quotidiennement
et en être entendu. Il est donc nécessaire d'imaginer des instances
officielles où la parole des jeunes au sujet de la télévision
pourrait être recueillie et traitée afin qu'elle puisse avoir
un impact sur les émetteurs.
Trois dispositions pourraient permettre aux enfants et aux jeunes
d'exercer réellement un droit qui leur est formellement reconnu.
- Proposer au Haut comité des droits de l'homme d'inclure cette
question de l'influence de la télévision dans son observation
des modalités d'application de la Convention internationale des
droits dé l'enfant, afin d'en définir les contours et faire des
propositions de modalités d'intervention des états dans ce domaine.
- Réunir une table ronde annuelle de représentants du Parlement,
du Sénat, des différentes chaînes, des organismes concernés ainsi
que des associations de téléspectateurs et de consommateurs, au
cours de laquelle pourrait être organisé le débat, par exemple
à partir du rapport annuel de l'instance de régulation, le CSA.
- Organiser une campagne nationale sur le thème "La télévision
et les enfants", sous des formes diverses : semaine d'information,
opérations de sensibilisation ou de formation dans les établissements
scolaires, les centres de loisirs, les bibliothèques, les conseils
municipaux d'enfants...
Pour promouvoir ces propositions, des contacts pourraient être
pris avec d'autres associations concernées par ces questions (par
exemple, associations de téléspectateurs, Conseil français de
l'audiovisuel, Carton jaune, Ligue des droits de l'homme ... )
afin d'imaginer une stratégie commune. On pourrait aussi inviter
les organisations de jeunesse à prendre une position sur les droits
du jeune téléspectateur. Il conviendrait aussi de rechercher le
financement d'une étude sur les pratiques des autres pays européens
dans ce domaine.
Défense du jeune consommateur
La télévision fonctionne, on le sait, dans une logique économique
: elle est agent de vente de produits de consommation courante
(directement par téléachat et indirectement par publicité) en
même temps qu'elle donne en spectacle et sans en hiérarchiser
l'importance, documents, divertissements, informations économiques,
politiques et sociales. Cette proximité et ce nivellement d'importance
donnent à ces produits culturels que sont les émissions une dimension
de consommation. Il est donc inévitable de traiter la relation
de l'enfant à la télévision dans sa dimension consumériste. Ceci
sera d'autant plus nécessaire que la multiplication des chaînes
s'accélérera avec des thématiques diversifiées et des modalités d'accès variant de l'abonnement au
paiement à la séance. La défense du jeune consommateur de télévision
doit donc s'exercer à plusieurs niveaux.
Les Institutions
- L'école a un rôle important à jouer et il est souhaitable que
l'éducation à l'image fasse partie de ses préoccupations au même
titre que l'apprentissage de l'écrit sur lequel son enseignement
repose exclusivement aujourd'hui. Cet apprentissage pourrait se
faire par l'observation et la critique régulière en classe des
émissions regardées par les enfants.
- Le service public de télévision pourrait aussi jouer un rôle
très important en multipliant et en adaptant aux âges les émissions
consacrées à "l'envers du décor" (comment sont conçues les émissions,
les, programmes ... ). Des émissions d'information destinées à
la jeunesse devraient exister en "prime time", ainsi que des émissions
s'adressant aux familles mais dont le contenu serait fondé sur
des problématiques adaptées aux enfants et aux jeunes.
- L'instance de régulation devrait, en accord avec les chaînes,
étudier et développer un système d'étiquetage des émissions motivant
les enfants à choisir en fonction de leurs besoins ou de leur
intérêt et rendant ce choix plus facile.
- Le législateur devrait faciliter la mise en service de cahiers
des charges rendus rentables, par une politique dynamique d'aide
à la production d'émissions à destination de la jeunesse.
Les associations
Inviter le Centre national de la consommation à se saisir de cette
question de la consommation télévisuelle des jeunes afin d'en
définir lé contour et proposer des modalités d'analyse qualitative.
Encourager la prise en charge des problèmes liés à la consommation
télévisuelle par les associations de consommateurs.
Susciter le développement des associations de téléspectateurs.
Notamment en assurant leur fonctionnement par des ressources issues
d'un pourcentage de la redevance ou des recettes de la publicité.
Développer un réseau d'observatoires critiques en donnant à ces
observatoires la possibilité de siéger dans les comités de visionnage.
Créer des prix et des labels de qualité remis solennellement et
permettant de distinguer des émissions de qualité.
Inciter les associations familiales et de parents d'élèves à prendre
en compte ces questions de consommation télévisuelle dans leurs
programmes.
Les chaînes
Créer auprès de chaque chaîne, des comités consultatifs dans lesquels
pourraient siéger des téléspectateurs ou leurs organisations représentatives.
Imaginer les dispositions réglementaires pour que soient respectés
les horaires de diffusion et la mise à la connaissance du jeune
public des conducteurs d'émission afin de favoriser le choix plutôt
que de faciliter la "capture".
Des espaces d'éducation à l'audiovisuel
L'image ayant pris une telle importance dans la vie des enfants
et des jeunes, il convient de mettre en oeuvre des conditions
favorables à son apprentissage pour permettre à l'enfant de l'utiliser
pleinement et de façon consciente dans son développement et dans
la construction de sa culture. Cette éducation à l'image passe
à la fois par une maîtrise des codes, la capacité à décrypter
et à resituer dans un ensemble plus large de connaissances. L'école
doit donc, la première, conduire un tel apprentissage qu'il serait
vain et même dangereux de couper de l'enseignement général. Mais
l'enfant reste influencé par ce flot d'images en dehors de l'école,
ne serait-ce que parce que c'est là qu'il le reçoit. Il faut donc
lui offrir la possibilité de confronter ses points de vue avec
d'autres par des pratiques socialisées de réception. Pour ce faire
la création d'espaces d'éducation à l'audiovisuel est souhaitable.
Installés dans des lieux sociaux et/ou culturels, de tels centres,
ouverts et multifonctionnels devraient permettre aux enfants d'apprendre
à utiliser la télévision dans le sens de leurs besoins et de leurs
intérêts. Mettant à profit les interactions sociales que cette
pratique collective créerait, ces centres seraient un moyen de
réduire les inégalités engendrées par les différents contextes
et pratiques de réception. Enfin, ces centres permettraient un
accès plus diversifié et volontaire aux diverses formes de l'audiovisuel
: chaînes thématiques, multimédia, câble...
Par ailleurs pour être complète, une initiation à l'image passe
par la possibilité pour chacun d'en construire et de les monter.
Activité indispensable pour bien comprendre que, bien qu'elle
ne laisse aucune trace apparente de sa construction (contrairement
à l'écrit) l'image qui ressemble tant à la réalité, est cependant
toujours le résultat d'un choix et d'une construction.
De tels centres devraient offrir
o un espace de découverte et d'initiation;
o des outils et des moyens de formation et de conseils;
a un service de prêt de matériel avec un accompagnement technique
et pédagogique;
o un fond documentaire écrit et audiovisuel;
o un lieu de rencontre, de débat et d'information,
o un lieu où grâce à l'audiovisuel, peut se construire un lien
social et une solidarité.
Ces lieux, ouverts, doivent accueillir enfants comme parents afin
d'encourager des pratiques de dialogue au sein même des familles.
Dialogue également inter-générations suscitant de nouvelles formes
de socialisation et de cohésion sociale. Il parait important que
les collectivités territoriale comme le monde associatif se saisissent
de telles pratiques afin de ne pas abandonner ce réseau lourd
d'influence aux seuls pouvoirs du monde économique, lui laissant
ainsi l'exclusivité de régir à sa guise, cette nouvelle sphère
de la communication sociale.
Protection de l'enfance
Les préoccupations d'EN JEU TÉLÉ recoupent bien évidemment les
problèmes posés par une nécessaire protection de l'enfance, conçue
comme respect de la personne de l'enfant, en même temps que défense
de ses droits. Le renforcement de mesures de protection de l'enfance,
s'il s'avère nécessaire, nous parait devoir s'inscrire davantage
dans une perspective d'apprentissage de l'autonomie plutôt que
dans la multiplication de mesures coercitives dont on connaît
bien la faible efficacité. Ce légitime souci de protection doit
donc se chercher dans des incitations, des formations, des pratiques
de dialogue et d'échange et ne pas être séparé du contexte général
de l'éducation des enfants et des jeunes. Quel impact, par exemple,
des pratiques d'interdiction ou de censure de la violence à la
télévision si ces mesures n'apparaissaient pas comme procédant
d'une éducation générale au refus de la violence?
Le droit : développer un droit international tant pour ce qui
concerne la participation des enfants, que la représentation qui
est donnée d'eux, notamment en précisant la notion d'atteinte
à la dignité de l'enfant. La réglementation : harmoniser les signes
d'avertissement ou de mise en garde de l'ensemble des émissions,
s'agissant d'un jeune public. Inciter l'ensemble des diffuseurs
à développer en leur sein un service s'intéressant à la pédagogie
et aux problèmes spécifiques posés par les jeunes publics. Responsabiliser
les producteurs et les diffuseurs en les incitant à justifier
leurs choix de diffusion.
La presse : développer une presse de programmes permettant aux
enfants et adolescents d'inclure leurs pratiques télévisuelles
dans l'ensemble le plus large possible de leurs activités d'étude
ou de loisir. Développer l'édition de documents écrits, audiovisuels,
ludiques... préparant, accompagnant ou prolongeant le contenu
d'émissions.
L'interactivité : engager une authentique interactivité en développant
les pratiques de communication électronique dans d'autres buts
que commerciaux, notamment en favorisant l'expression individuelle
et collective des enfants et des jeunes sur la forme et les horaires
des programmes proposés et sur les sujets qu'ils abordent. |