DE L'ÉLÈVE AU CITOYEN, COLLOQUE : TECHNOLOGIES NOUVELLES ET ÉDUCATION
Le 15 novembre 1997, la Fédération des Conseils de Parents d'Élèves
des écoles publiques (FCPE) a organisé au palais des congrès du
Futuroscope une journée de réflexion sur les nouvelles technologies.
Nous vous proposons des extraits de l'intervention de Monsieur
Franck Sérusclat, sénateur et auteur du rapport sur les nouvelles
techniques d'Information et de communication : "De l'élève au
citoyen".
Aujourd'hui, et c'est un peu inquiétant, on n'a pas l'impression
qu'il existe sur les questions de la place des nouvelles technologies
à l'école, une pensée générale et globale, pour une nation. On
sait qu'ici ou là, il y a des initiatives intéressantes, mais
qui, en définitive, sont relativement limitées.
Elles fournissent pourtant des éléments suffisamment précis pour
permettre d'envisager une extension réelle et générale. Or, si
depuis quelques années on entend parler et on voit dans les circulaires
des projets pour l'école, des lignes directrices faisant allusion
à ces nouvelles techniques, sur le plan pratique aucune démarche
généralisatrice n'apparaît.
Des changements profonds
L'on sait que les relations entre le maître et l'élève ne seront
plus ce qu'elles étaient jusqu'à présent. Déjà dans la pratique,
depuis 1968, il y a eu des modifications relativement profondes
dans la relation entre l'élève et le maître.
Cette fois, on va beaucoup plus loin. Il y a une différence très
grande dans l'approche de l'outil ; l'adulte a plutôt une inquiétude
synonyme de repli, qu'il explique par deux raisons : "je ne sais
pas comment cela marche", et, "ça coûte cher". L'enfant lui, n'a
pas ces craintes, il a une spontanéité dans tous les domaines,
ne sachant pas qu'il prend des risques, quelquefois, en utilisant
ces outils.
La relation fondamentale très caractérisée à l'époque de Jules
Ferry : l'un sait, le maître, les autres vont apprendre ce que
le maître voudra bien leur apprendre, n'est plus. Au moment du
dictionnaire de F. Buisson. tout était programmé depuis la première
phrase à prononcer jusqu'à la dernière. La Ieçon de calcul, celle
de français, celle de grammaire, se répétaient partout, et à 8
heures, tout le monde ouvrait son cahier à la page "morale civique".
Il y a un changement très fort ; le maître n'est plus celui qui,
par principe, sait et déverse son savoir ex cathedra, de façon
frontale. Cela ne veut pas dire que l'enfant ne lui reconnaît
pas une certaine autorité, mais il faut que le professeur d'école
aujourd'hui sache faire cette différence entre lui et l'enfant.
Il le fera dans d'autres types de relations et dans une classe
organisée autrement.
Le professeur a sa place, mais pas du tout de la même façon qu'il
l'avait jusqu'à présent. L'élève a besoin pour autant d'être accompagné
dans un apprentissage qui doit commencer dès l'école maternelle
et être progressif. Beaucoup d'exemples aujourd'hui montrent comment
cette progressivité dans la connaissance et la maîtrise de l'ordinateur
sert de façon intelligente à ouvrir l'éveil de la personnalité
le plus tôt possible, dès l'école maternelle, et à l'école primaire.
On aboutit ensuite à l'usage d'autres outils et du réseau internet.
Car on ne peut pas éviter d'utiliser des réseaux de cette nature.
C'est comme si on voulait éviter d'utiliser un jour les bibliothèques.
On ne peut pas non plus, à mon avis commencer par internet, donner
un mél à tout le monde, alors qu'on ne sait pas écrire pour y
aller.
Une classe en " fer à cheval " pour apprendre à apprendre
La salle de classe du futur ne peut donc plus être un lieu rectangulaire
ou carré, avec des coins où l'on mettait les enfants en punition
pour les humilier avec un bonnet d'âne. Personnellement. je pense
qu'elle devrait être ronde ou en fer à cheval, de façon à permettre
d'avoir une autre approche des relations s'y exerçant. Pourquoi
en "fer à cheval" ? Parce qu'on aura besoin d'un mur, bien régulier,
pour utiliser les murs d'images. Ce lieu d'apprentissage, je ne
voudrais pas l'appeler "salle de classe". Je l'appellerai "lieu
d'apprendre", ou "lieu pour apprendre à apprendre" ; Les tables
y seront rondes ou ovales, comme dans les écoles maternelles,
où les enfants ne sont pas avec le dos de l'autre devant eux;
ils sont en convivialité autour. Cette classe " numérique " dans
le futur, serait à très vite généraliser, car si l'on commence
par des démarches ici ou là, sous forme encore d'expériences,
on accroîtra de façon extraordinairement douloureuse le fossé
culturel. Et celui-ci accroîtra le fossé social. Certains, traîneront
leur incapacité, d'autres feront surface, surferont sur tous les
outils qui permettent de commander le monde. Dans cette classe,
on trouvera comme symbole des cartes géographiques. Je souhaiterais
que l'on puisse cliquer sur ces cartes : la carte du monde, la
carte de l'Europe et la carte de la France pour montrer qu'effectivement
aujourd'hui on est en relation et en responsabilité vraisemblable
de trois citoyennetés au moins. Ceci permettra à l'enfant de découvrir
et d'utiliser, par fenêtres successives, les relations avec les
autres : je clique sur le Danemark qui fait partie de l'Europe,
je vais dans telle ville, je vais dans tel lieu scolaire et j'y
rencontre tel camarade. Je ne sait pas si cela est possible avec
les cartes murales. Ça l'est en revanche par le système intranet,
avec un serveur sur lequel sont branchés à la fois chaque ordinateur
des enfants, mais aussi l'ordinateur du maître.
L'enjeu de la formation
Le rôle de l'école est essentiel pour aller de l'élève au citoyen,
titre de mon rapport auprès de l'office parlementaire. Les classes
d'aujourd'hui doivent prendre en compte cette autre organisation
de l'école. Mais tout dépend de la formation des professeurs.
Actuellement, il v a 15 heures de formation en IUFM, qui sont
manifestement insuffisantes si l'on veut faire acquérir une culture
de ces nouveaux outils. Cela suppose que dans les IUFM il n'y
ait pas que des gens en charge de l'apprentissage d'une technique.
S'il n'y a pas une réflexion sur l'utilisation, cela manquera
ensuite à tout professeur pour répondre, aider, faire construire
par l'enfant son propre devenir, son propre avenir, comme il le
fait aujourd'hui en utilisant la grammaire, la syntaxe et tout
ce qu'on apprend dans le domaine scolaire. Le point majeur aujourd'hui
est cette nécessité d'un effort extraordinaire et rapide pour
cet apprentissage en y mêlant le plus vite possible tous ceux
qui, en place, sont prêts à chercher à apprendre.
En fait. cette transformation n'est sûrement pas plus chère à
notre époque que ce qu'elle fût pour Jules Ferry ; au moment où
il a créé les écoles normales de filles, il s'est aperçu qu'il
fallait construire 15000 à 20000 écoles ; de filles aussi rapidement
que possible avec les collectivités locales de cette époque. L'État
y a mis de l'argent. des choix ont été faits.
La comparaison est intéressante; nous sommes aujourd'hui dans
une situation où l'histoire montre que ce qui s'est passé à ce
moment là peut se reproduire. |