Prises de position

LA LOI CONTRE LES EXCLUSIONS, UN PREMIER PAS POUR LE DROIT A LA CULTURE

Les jalons sont posés. Le gouvernement a choisi d'inscrire dans son projet de loi contre les exclusions, le droit à l'éducation et à la culture. Développer une "politique d'accès aux savoirs, vecteurs de citoyenneté et de lien social" et "garantir à tous l'accès à la culture" ; deux orientations de ce projet de loi qui traitent tout autant du respect des droits fondamentaux que de l'action des acteurs de la prévention.

Pour tout éducateur, il s'agit d'entrevoir quel espace ces futurs textes du projet vont-ils créer. Cest pourquoi, plusieurs groupes associatifs se sont mobilisés dans le secteur social avec le réseau Alerte, ou d'autres Initiatives dont celle des Ceméa ou celle conjointe des Francas, de la Ligue de l'enseignement et des Pep. Dans le cadre de leurs propositions pour ce projet de loi, elles ont pris acte de cette volonté politique et demandé entre autre, que sur cette question d'éducation et de culture, il faille "permettre à tous les enfants d'utiliser les nouvelles technologies dans la vie quotidienne par le développement de pôles d'animation aux nouvelles technologies et d'équipement des espaces culturels et de loisirs".

Il est opportun de s'arrêter sur les fondements de cette suggestion qui s'inscrit pleinement dans les propositions formulées par les composantes d'EN JEU TÉLÉ (Zapp NI°:17). Propositions que les Ceméa et les Francas ont choisi de mettre en application, car celles-ci posent avec force le principe de l'égalité des chances des enfants dans la société de l'information.

Une société duale déjà présente

Certes l'objet premier de ce projet de loi contre les exclusions n'est pas de développer l'Éducation aux N.T.I.C. Mais, les lieux et les formes d'exclusion sont multiples. Et dans ce domaine, cet espace temps appelé communément temps libre est aujourd'hui un temps propice pour garantir les droits à l'éducation et à la culture.

Il est rare que les gouvernements intègrent dans leurs orientations et propositions de lois et d'actions de cette dimension. Pourtant sous l'angle de la prévention, les éducateurs doivent pouvoir être entendus par les politiques.

C'est bien l'approche des associations précitées, qui considèrent que la lutte contre l'exclusion passe principalement par la prévention, qui est un des trois volets de la loi. Mais une prévention qui doit pouvoir s'appuyer sur une politique des pouvoirs publics prenant en compte ce temps libre. Si celles-ci présentent le temps libre comme un lieu privilégié de la découverte de la vie sociale, un vecteur important pour développer les capacités créatives, d'initiatives, de réactivité, d'anticipation... des enfants et des jeunes, par l'absence de régulation publique, le temps libre est aussi un lieu de reproduction et d'accroissement considérable des inégalités.

Les diverses expériences locales et initiatives développées dans ce domaine, démontrent l'importance d'une action éducative concertée et soutenue par les pouvoirs publics.

Le développement des N.T.I.C., les possibilités qu'offrent les fabricants en matériel aux familles qui peuvent acheter l'équipement informatique ou multimédia, les réseaux comme Internet, les bases de données, sont autant de sources de connaissances qui, de fait, ne seront pas accessibles à tous les enfants. Certes, le gouvernement a choisi d'engager la France dans un plan pour préparer l'entrée de la France dans la société de l'information qui doit permettre à notre pays de rattraper son retard. Un grand nombre de collectivités territoriales équipent les bâtiments publics et scolaires, malgré les réserves qu'elles expriment par rapport aux modalités de financement proposées par le gouvernement. Mais les écarts se dessinent et cette société duale tant dénoncée hier est bien présente aujourd'hui.

Nul ne peut négliger le chemin qu'il reste à parcourir, les obstacles à surmonter, le temps qui sera nécessaire aux différents responsables et plus particulièrement aux éducateurs pour offrir toutes les chances à tous les enfants. Mais il existe trois bonnes raisons qui permettent d'aller de l'avant.

L'Éducation est révolutionnaire

Tout d'abord, ce travail d'influence auprès du gouvernement et du parlement doit se poursuivre. Car ce projet de loi contre les exclusions s'inscrit dans un programme triennal qui, lui, si la pression des associations se maintient, devrait pouvoir prendre en compte ce type de propositions qui s'appuieraient sur des implications locales. Ou à défaut, celles-ci trouveront un écho dans d'autres orientations et programmes gouvernementaux.

Deuxième raison. préserver la cohésion sociale. Comme le souligne Olivier Jonas , en France comme en Europe l'approche qui est faite de la société de l'information se démarque fortement de celle établie aux États-Unis par le projet des autoroutes de l'information. Si l'impact sociétal et les changements structurels, que les N.T.I.C. vont engendrer sont fréquemment évoqués dans les rapports et orientations gouvernementales, l'auteur considère que les N.T.I.C. "nous interpellent sur le devenir des villes, sur la démocratie, sur le partage des ressources urbaines... au sein d'une société globale où les frontières sont abolies, mais où chacun ressent de plus en plus la nécessité du développement de services de proximité, garants de la cohésion d'un lien social."
Pour les associations, l'émergence de nouvelles pratiques sociales et les ruptures que celles-ci engendrent doit les inciter à inscrire pleinement leur rôle au centre de ce mouvement culturel et civique.

La troisième est, et comme le disait déjà Pierre François, fondateur des Francas, que l'éducation est révolutionnaire. À l'aube du troisième millénaire ne serait-il pas urgent de mettre en œuvre ce concept de I'éducation ? Il est à noter l'importance que le gouvernement accorde au rôle et à la place de la France dans la société de l'information et plus particulièrement à l'éducation aux N.T.I.C. surtout au sein de l'éducation nationale. Mais chacun se rend bien compte des écueils, des handicaps multiples et des mentalités conservatrices qui sont autant de freins à la mise en oeuvre d'une telle politique.

Comme cela a été souligné très explicitement lors d'une rencontre organisée par Vécam , ce plan gouvernemental souhaite aller de l'avant, mais avec lui un manque réel d'ambition qu'un participant à cette rencontre traduit par le sentiment "qu'on regarde dans le rétroviseur" et on limite par exemple la question de l'éducation "aux portes de l'école". À cette approche, il faut souligner l'absence de propositions dans ce plan, du ministère de la Jeunesse et des sports. Alors que les projets et les opérations conduites par les associations d'éducation populaire ne manquent et ne demandent qu'à être encouragés et valorisés.

Oui, il y a aujourd'hui une prise de conscience des pouvoirs publics et une volonté politique, qui les amènent à prendre en compte les enjeux socio--économiques de la société de l'infor-mation. Oui, un premier pas est fran-chi qui garantit le droit à la cuture pour tous.

Mais le chemin à parcourir pour voir se concrétiser cette volonté est immense. Et dans ce domaine, comme dans d'autres, c'est aussi par l' action des éducateurs que les écarts et les obstacles peuvent se réduire. La révolution, comme nous le rappelle l'histoire, n'attend pas le grand soir pour conquérir de nouveaux espaces.

Claude Gloeckle